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Sentencieux avocat de la beauté

3 avril 2016

Creed. Rocky VII.

Creed - Official Trailer [HD]

 

Sincèrement, lorsque j'ai entendu parler d'un spin-off de Rocky, j'ai eu un peu peur...

Quel âge a Stallone, déjà ?

Le jeune Michael B. Jordan est-il une si bonne idée ? 

Une suite mettant en scène le fils d'Apollo Creed, really ?

Hollywood aime tellement galvauder ce qu'elle a porté au pinacle... 

 

Bref, ça sentait l'entourloupe commerciale à plein nez, sachant que "Rocky Balboa" flirtait déjà passionnément avec le ridicule. 

 

Eh bien tuons tout suspense d'emblée : c'est le meilleur épisode de la saga depuis le premier, modèle séminal, qui, pour beaucoup de raisons évidentes - sentimentales mais aussi objectives -, demeure indépassable.

Que voit-on ?

 

Philadelphie, toujours aussi rauque et pittoresque.

 

Rocky, un homme désormais vieillissant et solitaire, rattrapé par la maladie, qui passe plus de temps avec les morts (visites au cimetière...) qu'avec les vivants (son restaurant est vide...).

 

Le fils d'Apollo Creed, lui aussi boxeur. Pour mémoire, Apollo Creed fut l'adversaire puis l'entraîneur de Rocky (cf. épisodes I à IV).

 

Les deux protagonistes principaux nouent une relation touchante et profonde, autour de la boxe évidemment.

Rocky accepte d'entraîner le fils de son ancien entraîneur.

On a droit aux fameuses scènes d'entraînement au rythme effréné - attraper des poulets à la main dans un enclos, enchaîner pompes et abdos, sessions cardio spartiates... - le tout réhaussé par les emblématiques thèmes musicaux de la saga.

 

Entre la sagesse, qu'il distille à coups de sentences philosophiques, toutes empreintes de l'irremplaçable vérité de l'expérience, et la dureté qu'il inflige à son poulain, car il sait plus que tout autre ce que la voie des champions requiert, Stallone joue remarquablement juste, en terrain connu il est vrai. 

 

Si l'histoire d'amour est convenue et cousue de fil blanc, si le combat final est relativement grotesque dans son déroulement (quand on connaît un tant soit peu le "noble art"), le film n'en reste pas moins extrêmement convaincant.

 

Le parti pris d'une mise en scène relativement réaliste et d'une réalisation "de proximité" confèrent à ce film une authenticité qui faisait défaut aux derniers épisodes.

 

Pas le film de l'année, non, mais, je me répète, le meilleur des Rocky depuis le premier.

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20 mars 2016

Anomalisa. Kaufman & Johnson sont dans un bateau ; il coule.

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J'avais commencé en écrivant des trucs sur Charlie Kaufman... Ce soi-disant "génie" de l'écriture... (terrible à lire quand on a une idée de ce à quoi la plus haute littérature ressemble)...

 

Et puis en fait non. C'est trop d'honneur.

Il ne mérite pas que je disserte sur son film ni sur ce qu'il écrit.

 

Je vais m'en débarasser comme ça :

 

Wallace & Gromit rencontre Michel Houellebecq.

 

C'est le récit le plus banal surgi tout droit de l'époque la plus insignifiante.

Clap de fin. 

 

N'y allez pas. Ne le téléchargez pas. 

 

 

29 février 2016

The Revenant. Man in the Wilderness.

téléchargement

 

 

 

On allait voir ce qu'on allait voir. Une révolution. Un coup de tonnerre, ou d'éclat, dans le ciel bas du cinéma d'auteur américain. Du sang, des larmes, des orteils congelés, de la sueur. Un survival de haute tenue, qui enterrerait la totalité des opus du genre.

 

Pas tout à fait.

 

"Les bons artistes copient, les grands artistes volent."

 

On connaît la phrase de Picasso.

 

Inarritu fait comme s'il composait une salade. Il débauche le chef-opérateur de Malick, filme le conflit entre indiens et blancs comme Gibson, pille quelques plans de Tarkovski (scène d'intro...), nous fait penser à Boorman.

Problème :

Malick a créé son éther, il l'a élaboré ; on ne transpose pas une telle recette. Chez Inarritu, la beauté sonne National Geographic. L'écrin, sans la pépite.

Le souffle épique de Gibson appartient à Gibson. Voir Apocalypto et mourir.

L'ampleur de la charge anti-rousseauiste dans Deliverance (critique extrêmement bien pensée du mythe du "bon sauvage"), de Boorman, demande une profondeur dont Inarritu ne saurait se targuer.

Enfin, on n'imite pas le souci métaphysique de Tarkovski. 

Ce que veut dire Picasso, c'est que les grands artistes sont ceux chez qui l'on ne voit plus le squelette de l'inspiration, car tout ce qu'ils ont ingurgité ressort par leur corps. Ils ont rejoint leur source, c'est d'elle que tout jaillit librement. Ils n'ont pas recours à celle d'un autre.

 

À part la ridicule scène du combat avec le grizzli (on voit les faux raccords numériques...), tout le reste laisse pourtant croire que l'on a affaire à un grand film. La photographie, les plans tournoyants, le morceau de bravoure du combat entre trappeurs et indiens dans une neige diaphane et une forêt crépusculaire, filmée à l'aide d'un plan-séquence ultra fluide. Les acteurs, eux aussi, font le job.

 

Las, quelque chose ne prend pas.

 

Tout est réuni mais cette belle mécanique tourne à vide.

Plus que tout autre ingrédient, il manque de l'âme à ce film.

Il y a des longueurs, également. Trop. Au moins une heure superflue dans le montage final.

La musique de l'immense Ryuichi Sakamoto paraît elle aussi anecdotique et surtout sous-utilisée, au nom sûrement de la contemplation silencieuse de la nature.

Mais il ne suffit pas de filmer des aurores boréales, des chutes d'eau, des arbres féériques... La preuve.

 

Je dois aussi confesser une lassitude certaine quant à cette façon toute contemporaine de faire et de concevoir les films. Ce qui auparavant était une projection bien naturelle de producteur est désormais devenu le mètre-étalon de la chaîne de création.

Un tournage est à peine annoncé dans la presse ?

Qu'à cela ne tienne : à partir de deux ou trois éléments de scenario qui fuitent, on parle d'ores et déjà de sacre aux Oscars pour l'acteur principal. Il va prendre 15 kilos. Ou jouer en extérieur, dans les conditions du réel (wouah !). Passer deux heures matin, deux heures soir en salle de maquillage - il sera donc "méconnaissable"... Sans blague.

En fait, quand les "spécialistes" parlent de performance d'acteur, comprenez que l'on parle de tout sauf d'art dramatique. La froideur impériale du bloc d'airain incarné par Al Pacino dans The Godfather part II ? Aucun intérêt ! C'est pas une performance, on vous dit ! Il a même pas pris dix kilos ! Graver une figure tragique subissant l'inéluctabilité d'un destin familial écrasant le sien dans le sang, avec autant de génie ? Mouais, bof. 

Il faut son Oscar à Leo, qui a l'air d'y penser à chaque plan. Alors Leo en fait des tonnes dans la neige.

Lui aussi recycle, mais dans son propre répertoire. Il fronce les sourcils. Il joue l'anxiété, la peur, l'épuisement physique. C'est pas génial mais Leo n'est jamais vraiment mauvais. Alors ça passe. On connaît déjà par coeur toutes ses mimiques mais qu'importe...?

L'essentiel est ailleurs, nous dit l'air du temps.

Les faiseurs d'opinion sont de mèche avec les grands barons d'Hollywood et l'on décide des récompenses quelques mois avant la cérémonie, dans la froideur d'un bureau de production.

Honte à ces procédés indignes et dégradants pour l'Art.

 

Il est inutile d'aller voir cette oeuvre, filmiquement irréprochable (personne ne peut dire qu'il s'agit d'un mauvais film), mais tout simplement ennuyeuse et froide.

 

 

 

 

 

 

25 février 2016

Saul Fia. Laisse pas traîner ton fils.

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Suis-je le seul à avoir pensé à Kassovitz à la vue de l'affiche ? Troublante similitude du regard et du nez. 

Apparté d'introduction terminé.

 

Comment filmer l'Holocauste ? Le sujet n'a-t-il pas épuisé toutes les possibilités de la représentation artistique ? Tout n'a-t-il pas été dit ?

Parfois une voix blasée se plait à nous poser ce type de question.

 

Devinez quoi. En matière d'arts, la redite n'existe pas. Sinon un certain Jean aurait décidé qu'Esope suffisait et l'on n'aurait jamais eu les fables de La Fontaine.

 

La vraie grande raison de s'enthousiasmer à propos de ce film hongrois, c'est le fait que le point de vue du réalisateur soit absolument inédit sur le sujet.

Spielberg avait esthétisé l'horreur, Resnais et Lanzmann l'avaient montrée nue, Polanski s'attachait à la résistance à l'indicible par l'art, Benigni avait réussi une fable d'une immense délicatesse en misant sur un conte transformant l'inhumain en jeu, le tout filmé à hauteur de gosse.

Que voit-on donc ?

Une immersion irrespirable en plan serré sur le visage du protagoniste principal - quasiment le seul et unique - de l'histoire.

Saul est un prisonnier juif affecté aux Sonderkommandos. On est à Auschwitz. Les membres de cette unité spéciale sont chargés d'envoyer les arrivants dans les chambres à gaz puis, ensuite, les cadavres dans les fours. Ambiance.

Assez paradoxalement, plus on est proche de l'enfer, plus on échappe à son emprise émotionnelle. Pas de sensiblerie, pas de violons. On est littéralement dans les fourneaux de la Mort. On voit ses petits soldats s'activer comme au sein d'une ruche bourdonnante qui ne s'arrête jamais. 

Pourtant je n'ai vu personne dans la salle pleurer à la fin du film. Tellement proches de l'horreur qu'elle nous tient en haleine. 

L'enjeu du film est différent de ceux traditionnellement déployés par les films réalisés sur le même thème. Usuellement, on parle d'héroïsme. Il s'agit de tromper la Mort et de résister aux bourreaux.

La parti pris de l'auteur, intelligent s'il en est, consiste, tel un prestidigitateur, à détourner notre attention de l'évidence (l'horreur, constamment présente hors-champ par des cris, des explosions, des bruits de mitraillette...) pour se concentrer sur le véritable enjeu du récit.

Saul a découvert un enfant vivant, au beau milieu des cadavres amoncellés dans la salle dont il s'occupe. Il n'aura dès lors de cesse d'affirmer qu'il s'agit de son fils. On le soupçonne d'être un peu fêlé. Lorsque l'enfant succombe, il n'a plus qu'une idée en tête : trouver un rabbin pour dire une prière.

Au-delà de son habileté à esquiver la figure imposée du film-sur-la-Shoah-qui-montre-l'indicible, le parti pris du réalisateur est incroyablement efficace pour nous ravir à notre propre jugement. Ainsi, malgré la besogne proprement ignoble à laquelle se livrent les Sonderkommandos, il ne nous vient jamais à l'idée de les juger. 

Le jugement est une suspension du temps. Or le temps n'existe pas à Auschwitz.

Ou plutôt, on ne peut se soustraire à son impitoyable joug. On y est tellement collé, en permanence, que le recul manque. 

On pare au plus pressé. Pas le temps de gloser sur la portée morale de tel ou tel acte. 

Or, sans recul, pas de réflexion, et sans réflexion, pas de jugement. CQFD. 

Nemes réussit brillamment à nous arracher à tout jugement, donc, et empêche tout procès en complaisance à son propos.

L'horreur, omniprésente, devient un personnage secondaire. Sacré tour de force.

Que reste-t-il ?

Un film marteau-piqueur qui avance sur un fil étroit, celui de la folie (suggérée ? montrée ? imaginaire ? les interprétations restent ouvertes) de son protagoniste-héros. 

Comme tout marteau-piqueur, c'est épuisant (ce plan serré d'1h45...).

Mais son martèlement lancinant nous hante durablement. Et après tout, c'est ce que devrait faire toute oeuvre d'art.

Si vous voulez participer en spectateur à un épisode grandeur nature de Call of Duty version Auschwitz, un remarquable film hongrois a réalisé cette prouesse.

L'Holocauste n'avait jamais été envisagé comme décorum pour narrer autre chose. On sort de la grande Histoire pour entrer dans la petite.

Cela n'enlève rien à la puissance du propos.

Au contraire.

Ce film mérite les honneurs dont on l'affuble ici et là. Allez-y.

 

24 février 2016

The Lobster. Weisz-hésitation.

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L'affiche était superbe. Le titre intriguant. Je ne connaissais pas ce réalisateur grec. J'étais curieux de voir.

 

Ma curiosité a duré un quart d'heure environ. 

Le temps de m'apercevoir qu'on avait affaire à un poseur.

Le temps de quelques scènes d'exposition, longues et solennelles.

 

Où est-on ? 

 

Dans une société où la liberté individuelle a disparu (non, pas l'ex-union soviétique...), comme chez Bradbury (le roman Farenheit 451, adapté au cinéma par Truffaut), le peuple vit selon des règles absolues.

Ici les pompiers n'organisent pas d'autodafés.

Ici, lorsque l'on vit seul, on est amené de force dans un hôtel. Et on a 45 jours pour y trouver l'âme soeur ou, à défaut, une nouvelle compagne. On se déclare, à son arrivée, "homosexuel" ou "hétérosexuel", comme on demande génériquement telle ou telle référence de grille-pain dans une grande enseigne suédoise. Si l'on échoue, on est transformé en l'animal de son choix. 

D'où le titre.

Tout est froid, standardisé, impersonnel. La mise en scène, sobre, est, au départ, l'atout premier du film. Elle sert efficacement le propos et impose un univers.

 

Le délire de l'auteur en est un comme un autre et pourquoi pas ?

 

Mais tant de scènes redondantes... Tant de dialogues poussifs... Un développement si tiré par les cheveux...

 

Le contrepoint de l'absurdité, c'est la maîtrise. 

 

Les Monty Pythons par exemple, dépositaires du genre, avec d'autres, maîtrisent chaque instant de leur procédé narratif. Ils sont véritablement maîtres de leur absurde.

Rien de tel dans The Lobster. Non seulement il n'y a aucune logique de fond, si bien que même le non-sens perd son sens, mais en plus le réalisateur semble hésiter entre différents genres qui, s'ils semblent proches, auraient requis une toute autre maestria pour un alliage harmonieux (satire sociale, humour noir, farce fantastique...).

L'ensemble est très froid et n'assume aucune des directions esquissées, devant lesquelles il attend trop sagement.

Pire, la mise en scène, réussie dans un premier temps devient un fardeau pour le développement du propos, et lui confère un aspect involontairement ridicule.

Si l'on veut faire dans le fantastique, pourquoi pas ? Mais il vaut mieux lorgner du côté de Lynch que vers l'atmosphère arty-intello de Wes Anderson. Du trip expérimental plutôt que de l'esthétique lyophilisée. Question de cohérence. 

C'est d'autant plus dommage que le film jouissait de la présence de deux actrices tout à fait à l'aise avec l'univers décalé mis en place par l'auteur : Rachel Weisz et Jessica Barden.

 

À éviter. Pose intello et filtre à la mode ne font pas un grand film.

 

 

 

 

 

 

 

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22 février 2016

The Hateful Eight. Western cheesy.

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Pour le dixième billet du blog, vous avez droit à un double billet puisque je publie aussi celui de mon ami l'artiste B., qui s'est proposé spontanément, et à qui j'ai accepté d'ouvrir la tribune. C'est son billet qui ouvre, le mien est plus bas.

 

Tarantinostalgique,

C’est quoi ce délire de toujours penser à ses exs et pourquoi sommes nous toujours marqués au fer rouge par notre premier amour ?

Pour s’attaquer au monstre sacré, on va y aller petit à petit ... mais à la pince monseigneur. Reprenons depuis le début, avec toute cette neige on aurait presque envie d’aller skier si seulement on n avait pas été traumat par la bande son. Géniale tout du long d’ailleurs. La typo et les chapitres nous rassurent d’entrée, on est bien chez Quentin, ca sent la pulp fiction. Comme quoi, on est toujours marqué par ses ex mythologiques. Toutes ses ex mythologiques.

Parce qu’après la balade en montagne durant laquelle on croise des copains pas nets, au milieu de nulle part, on se retrouve - not like a virgin, parce qu’on a vu son autre ex, Reservoir Dogs- dans le décor principal. 

Une fois de plus, le vampire à la grosse tête de from dusk till dawn, suit la règle des trois unités de la tragédie classique. L’action principale, sinon shooter tout ce qui bouge et éviter l’hypothermie, tourne autour de cette mystérieuse et seule femme. Elle a des airs de Janis Joplin et une résistance aux manchettes digne de David Douillet. Les trois heures de film, qui se font sentir par moments, entre autres parce que Walton Goggins parle à la vitesse d’un nonagénaire avec les capacités cérébrales d’un enfant de 9 ans, collent aux événements de l’histoire de façon racinienne. On a l’impression de vivre chaque seconde en live. Et bien entendu, tout se passe au même endroit, un chalet de haute montagne plein de peaux de bêtes, tout en bois, avec un feu de cheminée en continue, tout ce qu’il y a de plus rustique.

Je pourrais détailler chacun des personnages à commencer par le travail de costume ahurissant. Mais pour ca il faudrait que je sois, comme eux, sous stéroïdes. On va quand même parler de ce cher Samuel/Marquis, qui s’impose comme chef d’orchestre dans une partition en me majeur. Détonnant, il participe activement à la diffusion des complexes du réalisateur. 

À croire que Tarantino a de gros soucis avec son chibre et ce, si on se fie à Sigmund, a cause de son père. La preuve, il prend un vieux nazi et le pousse au duel en lui racontant des saletés sur comment son fils a bouffé le « Johnson » du renoi. Malin le Jackson, qui fait ca pour implorer la légitime défense style lucky luke vs casimir et en finir légalement avec un ennemi juré.

Comme d’hab, voire un peu plus que d’hab, il fait éclater des têtes et des couilles à tirelarigot, ca gicle de partout. Tellement qu’on se demande s’il n’a pas collaboré avec l’artiste américain Paul McCarthy. Ca sent le ketchup, à tel point que mon nez s’est mis à pisser le sang.

Bref, parce qu’on a couché avec toute ses exs, on sait dès le départ que tout le monde va crever. De toute façon, une bande de barjs, au milieu de la foret, bloqués par la neige, avec autant d’oseille en jeu.. ca ne peut que mal tourner. On attend juste le début des hostilités.

Facile à la détente et incapable de se détendre, comment voulez vous qu’ils passent plus de deux heures, tranquilles, dans le même endroit ? C’est comme si Trump se trouvait bloqué avec quatre mexicains, menotté à son ex femme, son chauffeur sur le dos, le chef Wiggum et Batman dans la même pièce.

En conclusion, on sent l’angoisse comme chez les rescapés de l’holocauste, du début à la fin. On sait qu’ils ne se disent pas tout, mais bon trois heures c’est long. On reconnaît volontiers la précision du casting parce qu’entre autre, on avait envie de voir la tête de sexy dance 8 éclater en mode bombe à eau. Et, tout ca mis à part, on aime Tarantino mais surtout lorsqu’il innove.

 

 B.


 

 

 

 

Si l'on m'avait dit qu'un jour Tarantino deviendrait aussi pénible et rébarbatif qu'un essai d'Emmanuel Todd... - j'ai lu "Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse"... archétype de l'oeuvre de gauche moderne plébiscitée mais à côté de la plaque - ... bah je n'y aurais pas cru, les enfants. 

 

J'ai déjà parlé des critiques et de leur fantaisie sans limites dans certains billets précédents.

Sincèrement, ils sont inépuisables. Il n'y a donc pas de raison pour que je m'arrête. "Ses jeux de langage organisent l'irruption des images". "Télérama". Véridique.

Sincèrement, quand on en est là, je ne sais même plus quoi leur conseiller... Si encore ils fumaient du crack...

 

On pourrait leur suggérer d'arrêter, par exemple.

 

Mais là, non. C'est du larbin fini au Earl Grey, tout ça.

 

"D’une torpeur et d’une sorte de placidité analytique". Les inénarrables "Inrocks", jamais à court d'une bonne élucubration bien capillotractée, sortie de l'imaginaire bouffon et délirant de l'un de ses écrivaillons.

Sont cinglés les types. Savent même plus ce qu'ils racontent. 

Ca les emm.... tellement, au fond, de s'être simplement marrés devant une série B où des cow-boys se tirent dans les parties génitales qu'ils sont obligés de faire dire à Tarantino ce qu'il ne dit pas (procédé sournois bien connu des professeurs de français).

Mais nan, navré, ce n'est pas une relecture de Lorenzaccio de Musset. Ce n'est pas non plus une plongée cinématographique inavouée dans l'oeuvre de Vermeer. Non.

Comme dirait Freud, "sometimes, a cigar is just a cigar". Autrement dit : arrêtez de chercher midi à quatorze heures, comme certains les symboles phalliques surgis de subconscients encombrés.

 

En l'occurence, donc, c'est juste une histoire de magot et de psychopathes qui s'entretuent dans la neige. Pas la peine d'organiser à peu de frais la rédemption intellectuelle d'un auteur à qui l'on peut certes faire nombre de procès mais qui n'a jamais nourri le complexe dit de Godard : filmer Belmondo tout habillé dans une baignoire vide en train de fumer et de lire Spinoza... comble indépassable du refoulement honteux intello.

 

Le film.

Tarantino dit s'être puissamment inspiré de l'un de ses films de chevet, The Thing, de Carpenter. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'hormis la neige et le côté série B, on ne voit pas bien le trait d'union entre les deux. Pas vraiment de figure monstrueuse, pas non plus de tension paranormale par moments. Rien de tout ça dans The Hateful Eight.

Où donc s'est envolée l'inventivité débridée de Pulp Fiction ? L'élégance et le sens du récit de Jackie Brown ? La sensibilité et la fureur des 2 volumes de Kill Bill ? L'extraordinaire génie de la mise en scène, et la fluidité visuelle de Death Proof ?

On commence à s'impatienter. Inglorious Basterds finissait par être drôle tellement il était gênant de nullité, Django hilarant d'imbécilité.

Là on ne rit même pas. 

C'est mou. C'est long. C'est bavard.

Ca se croit profond parce que ça filme au ralenti.

Tarantino était tellement riche à une certaine période qu'il aurait rendu passionnant un court-métrage à propos d'un tapis de douche. 

Mais pour qu'une bataille de ping-pong (verbal) devienne épique, il faut Jean-Philippe Gatien d'un côté, et... disons n'importe quel champion chinois des années 90 de l'autre.

Le problème de Tarantino c'est qu'il ne sait plus composer des castings.

Dans Inglorious Basterds, l'odieuse Mélanie Laurent ainsi que ce fameux français noir, le projectionniste du cinéma qui servirait de piège se refermant sur Goebbels et les nazis... véritable cauchemar de cinéphile. 

Dans Django, le non-charisme absolu d'un rôle qui en demandait énormément, avait échu au très dispensable et trop consensuel Jamie Foxx. Le même qui, comprenant qu'il n'était pas Michael K. Williams, se sentait obligé de surjouer tout le long du film, comme pour invoquer ce supplément d'âme qu'il ne possèdera vraiment jamais.

Dernier méfait en date, le recrutement aberrant de l'ahuri Walton Goggins, sorte de John Wayne du (très) pauvre. On ne sait pas vraiment si c'est sa diction qui est fautive. Ou si son regard vide cadre mal avec la spiritualité supposée de certaines de ses répliques.

Toujours est-il que c'est l'un des plus beaux désastres qu'il m'ait été donné d'admirer. Le regard d'un chevreuil bourré, la vivacité gestuelle d'un grabataire abattu, et l'élocution pataude d'un Samuel Le Bihan des plus beaux jours. 

 

Malheureusement le reste du casting est à l'avenant.

Samuel L. Jackson est en terrain connu et ne se foule pas vraiment. Vu et archi-revu dans son répertoire personnel.

Tim Roth n'a pas l'air concerné par le cours des événements. Sûrement un cachet pour une toiture à refaire dans sa résidence secondaire.

Et que dire de Michael Madsen ? Autrefois brillant quoiqu'un peu monocorde, il a décidé de composer un hommage aussi réussi qu'inattendu à Renaud. L'oeil torve, la silhouette empâtée, ce bon vieux Mike a l'air tout droit sorti d'une dépression de neuf ans en Picardie. Vraiment pas beau à voir.

Et dire que le meilleur comédien à disposition n'apparaît qu'à 40 minutes du terme...

Pauvre Channing Tatum, le seul dont l'oeil alerte aurait mérité un usage adéquat. Athlétique ET intelligent, capable de comprendre le langage des auteurs (Soderbergh, Miller...) comme de jouer pour des machines à fric, subtil OU cabotin, il est un défi posé aux esprits étroits. Un animal capable de penser. Difficile à appréhender pour beaucoup.

 

Alors, si vous n'êtes pas rebutés par les litres d'hémoglobine ou plus simplement par la bêtise (les dialogues sont consternants de vulgarité), allez-y. Sinon, passez votre chemin et laissez de côté ce film paresseux et irritant.

 

Valmorg de Barbarie (créateur / auteur du blog)

 

 

16 février 2016

The Big Short. Bale démonstration.

The Big Short | Trailer | Paramount Pictures UK

 

Michael Burry est un "intervenant financier". Un "hedge fund manager".

On est juste avant la fameuse crise des subprimes et, dans le film de McKay, il est interprété par Christian Bale.

Le meilleur comédien du film, c'est lui. Il compose subtilement un asocial à l'oeil de verre (accident de football américain étant enfant) qui joue de la batterie comme un ado enragé, quand il ne passe pas le reste de son temps en sandales et t-shirt dans son bureau, à spéculer. 

 

L'univers dans lequel on nous plonge est donc celui de la finance spéculative. On nous promet de nous en démonter les rouages, sous nos yeux.

Pas sûr qu'on soit emballés.

On n'ose imaginer ce qu'un tel sujet aurait donné traité par Robert Redford.

Brrrr.

Un film d'1h28 qui en aurait semblé 4. Un brûlot poussif, démonstratif, dualiste, laborieux. Des dialogues lourds et explicites. Des traders responsables de la faim dans le monde et du réchauffement climatique. De la morale. Beaucoup de morale. Des hommes de gauche, bons, si bons. Des hommes de droite, égoïstes et pourris par l'argent.

Chez Robert, on fait pas dans la nuance. Et on n'hésite pas à offrir l'art en sacrifice sur l'autel du militantisme politique. 

 

Bonne nouvelle : McKay vient de la comédie. Ca se sent.

Si Aristophane était né au XXIème siècle, il aurait pu écrire le scenario de ce film, à la fois léger et dénonciateur.

Appelons ça une tragi-comédie. On est quelque part entre Margin Call et Capitalism:A Love Story (documentaire de Michael Moore sur la crise financière). La réalisation penche du côté documentaire. Les personnages, eux, sont des comédiens.

Parfois, ils brisent le quatrième mur, selon la technique popularisée par Godard dans À Bout de Souffle. 

C'est efficace.

 

Réaliser un film didactique et ludique, à propos de quelque chose d'aussi complexe (et potentiellement ennuyeux) ? Cela avait tout d'une gageure.

McKay réalise pourtant la synthèse idéale. Là réside sa superbe réussite. Ajoutez-y un montage d'une élégance toute soderberghienne, et vous obtenez une narration d'une grande fluidité, très agréable à suivre.

McKay sait à quel point les enjeux sont incompréhensibles aux profanes. Il nous prend donc la main pendant 2 heures, avec une bande de comédiens au diapason, pour démêler les fils de ce monde absurde, où l'opacité règne.

"Do you have any idea how clueless the system is ?" balance Ryan Gosling lors d'une réunion informelle.

On est en plein dedans : un système sans aucune pare-feu, totalement démuni face à l'irresponsabilité de tous ses protagonistes.

Eux vivent dans une bulle, parient des sommes faramineuses et cachent leurs pertes, en attendant qu'un château de cartes s'écroule quelque part.

Une sphère surréaliste et déconnectée, dépeinte avec le flegme d'Ocean's Eleven

 

Allez voir ce film si vous aimez les rôles de composition et si vous ne comprenez toujours rien à la crise financière de 2008.

12 février 2016

Spotlight. Schreiber, Pulitzer, whatever.

Spotlight

6 nominations aux Oscars. Ahahahahahahahahaha.

Bon, par où commencer ?

Alors, c'est pas un film sur le scandale des prêtres pédophiles de Boston. "Ah bon ?" Ouais nan j't'assure.

C'est pas non plus un film sur la mécanique hiérarchique qui étouffe les crimes au sein de l'Eglise. "Sérieux ?" Oui, rien à voir, vraiment.

C'est pas non plus un film sur la pugnacité d'une équipe de journalistes. "Mais attends, les critiques disent que..." Là je l'ai interrompu. Je lui ai demandé de me laisser finir.

 

En fait, c'est un film sur une enquête. Enfin. N'imaginez pas Zodiac, hein. Ici rien de la science du rythme de Fincher, ni de son sens de l'esthétique.

Non, attendez - je me suis trompé. Un film sur une enquête, par coup de chance, ou de grâce, ça peut donner The President's Men - bon, il faut avoir Hoffmann et Redford sous la main.

Non, en fait c'est un film à propos de la fiche Wikipédia dédiée à l'enquête.

Des faits, des faits, et encore des faits. Des noms, des dates, des titres de dossiers confidentiels. Des lieux. Des procédures. Des piles de feuilles entassées, filmées en plan serré. Mark Ruffalo, l'air concentré, faisant défiler des articles sur son ordinateur. 

Un artifice fictionnel destiné à donner du relief à la narration ? "HEIN, c'est quoi ça ?" Autre chose qu'une lumière blafarde et que du champ-contrechamp monomaniaque ? Un montage dynamique, contrecarrant les voix monocordes des protagonistes ? Allez, soyons fous : des décors et des costumes qui fassent penser à autre chose qu'au pilote d'une série des années 80 ? 

Si McCarthy pouvait me lire, il se demanderait sûrement de quoi je parle.

J'ai rarement vu, dans un cinéma qui n'est a priori ni de la série B ni de la série Z, un langage aussi dépourvu de créativité. Pas UNE idée de mise en scène, de réalisation, ou de cadrage. Aucun travail sur les couleurs. Aucune lueur de sens, d'intelligence, de finesse au sein des gros pavés que les dialoguistes ont taillés à la massue.

Lourd. Si lourd. 

Quant au sujet... Franchement, se prendre pour un chevalier blanc pourfendant l'omerta mondiale quand on parle de la religion la plus vilipendée au monde pour ses dérives pédophiles... Disons que ça prête à sourire.

Des Magdalene Sisters irlandaises à Doubt... en passant par tant d'autres consacrés à la question, je crois que le sujet ne manque pas d'illustrations.

En 2016, autant tirer sur une ambulance. Tout le monde est au courant de ce que le film est censé dénoncer.

Le jour où on abordera le sujet dans les chapelles d'à côté, déjà...

 

La Cérémonie des Oscars est devenue une immense poubelle sans éthique aucune vis-à-vis de ce qu'elle est censée récompenser : l'Art. Les lobbies font la pluie et le beau temps. Les comédiens se foutent de jouer, ils sont à l'affût de la performance qui les sacrera (perdre ou prendre 30 kilos, ça impressionne apparemment pas mal de monde), et les réalisateurs comme McCarthy pensent redécouvrir le courage citoyen en brandissant les bobines du film le plus chiant de l'année, à propos d'un sujet éculé s'il en est. Les équipes marketing se chargent du reste, avec la collusion bienveillante des critiques. 

 

N'allez surtout pas voir ce film, sauf s'il se met à tomber des cordes devant le UGC des Champs-Elysées et que vous ne voyez pas d'inconvénient au fait de payer votre sieste 10€.

 

 

 

 

PS : pauvre Liev Schreiber. Le meilleur rôle de sa carrière dans un pur navet.

 

11 février 2016

Spectre. Seydoux. C'est trop. Ca dégouline.

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Pourquoi Sam Mendes est-il si inégal ? Génial auteur d'American Beauty et de Revolutionary Roads, tout ce qu'il a fait d'autre que ces deux films oscille entre le médiocre et le consternant.

 

Pourquoi s'est-il mis en tête qu'il était nécessaire de faire pire que le déjà très mauvais Skyfall ?

 

Pourquoi les fans de James Bond aiment-ils si peu le cinéma, et tant leur héros ? Ils désignent tous assez unanimement Casino Royale comme le meilleur épisode ever. Un film pourtant si générique, si impersonnel... un si long placement de produits...

La saga James Bond au cinéma, c'est UN épisode réussi. Un seul en 70 ans. C'était Goldfinger. C'était en 1964. Depuis, navet sur navet. Et ça continue. La franchise fait des millions. Des crétins s'agglutinent devant les boutiques de produits dérivés et ne manquent pas un épisode. Une poule aux oeufs d'or. Qu'est-ce qu'en pense Ian Flemming, tiens ?

 

Pourquoi personne ne dit à Daniel Craig que ses costumes Célio sont trop étroits ?

 

Pourquoi personne ne s'est rendu compte que d'un personnage à l'humour et au charme irrésistibles (Sean Connery, Pierce Brosnan...), on est passé à une statue de cire inexpressive, et aussi séduisante qu'un nettoyeur du KGB ?

 

Pourquoi diable Léa Seydoux continue de truster tous les rôles de femme fatale dans les blockbusters américains les plus imposants ? Pourquoi y est-elle si insignifiante ? Si quelconque ? Si indigente ?

 

Pourquoi même Roger Moore (worst Bond ever... à part Craig) a l'air d'un élégant duc à côté de ce dernier ?

 

Pourquoi lorsque, sur une chaise de torture, Daniel Craig prononce "Tempus Fugit", sent-on confusément que le dialoguiste ne respecte pas beaucoup notre intégrité intellectuelle, voire morale ?

 

Pourquoi cette affiche est si cheap, si laide, si minable, si vieille, si mal faite, si Delaveine ?

 

Trop de questions sans réponses. Quand on se fout de moi, je ponds un article aussi bâclé que ce que fait Mendes depuis trop longtemps.

 

N'allez surtout pas le voir. D'ailleurs, n'allez plus voir Bond au cinéma. C'est seulement pour les fans de Bond. Ca existe, c'est une communauté de fous furieux. Ne cherchez pas à leur ressembler, vous êtes très bien comme ça.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10 février 2016

Sicario. Old el paso.

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Ca commence fort. Très fort. Certainement la scène d'introduction la plus estomaquante vue au cinéma depuis celle de The Dark Knight, deuxième épisode ahurissant de la saga de Nolan.

Rien de surprenant. On est chez Villeneuve. Rien de moins que le meilleur metteur en scène vivant avec Fincher et Soderbergh. On attendait enfin un film réussi en entier. Incendies et Prisoners étaient des "presque grands films", plombés par de mauvaises idées et/ou des pertes de rythme dommageables. (Jetons un voile pudique sur Enemy, mauvais de bout en bout, ne racontant rien, et le faisant mal.)

 

On a droit à une définition du titre du film dans une pré-introduction sobre et esthétique. Sa signification chez les zélotes de Jerusalem et sa signification moderne, au Mexique.

 

On est à Juarez, non loin de la frontière américano-mexicaine. La ville est l'une des plus violentes au monde. Narco-trafic, assassinats, kidnappings, police corrompue...

Kate (Emily Blunt), membre du FBI, y est parachutée et doit collaborer, pour une mission secrète avec deux hommes dont elle ne sait rien. Sont-ils de la CIA ? D'un autre groupe d'élite ? Sont-ils de simples freelancers

L'un (Josh Brolin) est raide et péremptoire, l'autre (Del Toro), le seul à maîtriser la langue locale, est un taiseux trouble et mystérieux. 

Qu'est-ce qu'on voit ?

Une introduction de très haute volée, donc, massive comme un bulldozer, macabre comme une nuée de corbeaux. Une explosion. Des tractations jargonesques entre les protagonistes auxquelles, avouons-le, nous ne comprenons pas tout. (C'est fait exprès.) Des travellings avant virtuoses, qui font progressivement suffoquer ; des plans larges qui aèrent le cadre. Une photographie splendide - du Soderbergh ambiance Traffic, sans le filtre ocre. Une procession de Cherokees ralentie après un poste-frontière. Des mexicains tatoués de la tête aux pieds, en débardeur, dans une Chevy Impala. Enfouraillés comme à la fête du AK-47 en Albanie. 

 

Bref, on n'est pas chez Frank Capra et Denis Villeneuve a assez de talent pour qu'on s'en rende compte. La mise en scène ne lésine pas sur les moyens. La réalisation est nerveuse, âpre, sèche. La bande originale concourt très efficacement à l'impression très oppressante de menace permanente. Villeneuve nous tient à la gorge d'une poigne ferme. 

 

Et ça marche.

Pourquoi ?

Parce qu'Emily Blunt est virile et vulnérable. Humaine.

Parce que Josh Brolin nous refait le coup du gars à qui on la fait pas. Detective Trupo (American Gangster) sans les cheveux gominés et le sourire cynique - c'est encore ce qu'il fait de mieux (chez Ridley Scott il a tenu le meilleur second rôle des 15 dernières années, et accessoirement a le mieux incarné le Mal depuis Washington dans Training Day... sérieux, ces yeux ironiques et cruels...refaites-vous le film et dites-moi l'inverse !).

Parce que Del Toro, quand il n'est pas dirigé par Oliver Stone sous coke (l'infernal et épileptique Savages), est un formidable bloc de granit laissant passer la lumière à travers des fêlures subtiles. Sa profonde ambivalence est bien plus passionnante que son fameux froncement de sourcils.

Parce que Jon Bernthal y va de son numéro, parfaitement maîtrisé. La séduction puis la tempête.

 

Mais pour faire un film intelligent, il faut dépasser ces simples éléments de cuisine. Le réalisateur les utilise ici pour raconter quelque chose qui dépasse son scenario.

 

Certes, on est entre les passeurs clandestins et l'ultra-violence des gangs. 

 

Mais ce n'est pas le sujet.

 

Comme chez Dostoïevski ou Balzac, chaque personnage incarne une idée. Mais attention, Denis Villeneuve a le sens de la nuance. S'ils ont chacun leur couleur, ils n'en sont pas monolithiques pour autant.

La vie s'agite devant nous, insaisissable. Les instincts contradictoires nous explosent au visage, et chaque nouvelle situation est une occasion pour l'inédit de surgir.

Tout fait sens. Tout est crédible. Mais rien n'est réductible à des formules applicables comme des théorèmes infaillibles. Comme dans la vie.

Emily Blunt est l'Idéal. "Are we doing this by the book ?" Elle n'a que ça à la bouche. Elle sort (presque) de l'école, on comprend qu'elle faisait partie des bons élèves. Elle veut opérer selon la procédure. Hors de ce repère cardinal, point de salut, semble-t-elle penser. Seulement, à Juarez, le book, on n'en fait pas grand cas. 

 

Ca fait bien rire Josh Brolin, qui lui en a vu d'autres. Et sur le terrain, pas dans les livres. Il a la condescendance placide de celui qui sait comment ça se passe. Et qui sait que le book est d'un faible secours devant une embuscade au M-16. Il est l'Expérience, ou la connaissance empirique.

 

Benicio Del Toro, lui, est une sorte de mercenaire aguerri et solitaire. Son intérêt l'a mené à se greffer à l'équipe menée par Brolin. Jamais pourtant il ne donne l'impression d'appartenir au groupe. Sa présence rassérène tout le monde car il est fiable devant le danger. Il monte en première ligne pour eux, car de leur réussite commune dépend sa mission personnelle. Echange de bons procédés. Il offre ses services, il utilise les leurs. Il est une métaphore du Réalisme. Il est celui qui voit la raison dans le réel et non le contraire.

 

Car Villeneuve, au fond, nous pose une question capitale.

Est-il raisonnable d'agir selon des principes abstraits dans un monde où la violence est on ne peut plus réelle ?

 

Sa réponse, sans être cinglante dans la forme, est définitive sur le fond.

 

Parler de "droits de l'homme" ou de procédure légale à Juarez, c'est comme aligner un cul-de-jatte au départ d'une finale olympique de 100 m : hilarant, ou indécent ; c'est selon.

Surtout, c'est hors-sujet. 

L'Etat de droit ? Qu'advient-il de lui quand il n'est pas garant de la force qui protège la multitude d'elle-même ? Sans force coercitive, quelle est la réalité effective et l'applicabilité du droit ? Il devient abstraction, comme le sont les droits de l'homme aujourd'hui dans les pays dits "du Sud" (comprendre "pauvres").

Avant une dernière scène qui scelle l'éternel recommencement de la violence - et qui hante longtemps par sa belle lumière - Benicio Del Toro et Emily Blunt ont affaire l'un à l'autre une ultime fois. La devise qui ne l'abandonne jamais, lui, est celle de Plaute, selon laquelle l'homme est un loup pour l'homme. On avait compris.

L'issue de leur face-à-face est la leçon finale du film.

"It's tough out here and you're not strong enough... you should leave." 

Ainsi parle la sagesse selon Villeneuve. Et moi avec.

 

 

 

 

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Sentencieux avocat de la beauté
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