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Sentencieux avocat de la beauté
25 février 2016

Saul Fia. Laisse pas traîner ton fils.

192039

 

 

Suis-je le seul à avoir pensé à Kassovitz à la vue de l'affiche ? Troublante similitude du regard et du nez. 

Apparté d'introduction terminé.

 

Comment filmer l'Holocauste ? Le sujet n'a-t-il pas épuisé toutes les possibilités de la représentation artistique ? Tout n'a-t-il pas été dit ?

Parfois une voix blasée se plait à nous poser ce type de question.

 

Devinez quoi. En matière d'arts, la redite n'existe pas. Sinon un certain Jean aurait décidé qu'Esope suffisait et l'on n'aurait jamais eu les fables de La Fontaine.

 

La vraie grande raison de s'enthousiasmer à propos de ce film hongrois, c'est le fait que le point de vue du réalisateur soit absolument inédit sur le sujet.

Spielberg avait esthétisé l'horreur, Resnais et Lanzmann l'avaient montrée nue, Polanski s'attachait à la résistance à l'indicible par l'art, Benigni avait réussi une fable d'une immense délicatesse en misant sur un conte transformant l'inhumain en jeu, le tout filmé à hauteur de gosse.

Que voit-on donc ?

Une immersion irrespirable en plan serré sur le visage du protagoniste principal - quasiment le seul et unique - de l'histoire.

Saul est un prisonnier juif affecté aux Sonderkommandos. On est à Auschwitz. Les membres de cette unité spéciale sont chargés d'envoyer les arrivants dans les chambres à gaz puis, ensuite, les cadavres dans les fours. Ambiance.

Assez paradoxalement, plus on est proche de l'enfer, plus on échappe à son emprise émotionnelle. Pas de sensiblerie, pas de violons. On est littéralement dans les fourneaux de la Mort. On voit ses petits soldats s'activer comme au sein d'une ruche bourdonnante qui ne s'arrête jamais. 

Pourtant je n'ai vu personne dans la salle pleurer à la fin du film. Tellement proches de l'horreur qu'elle nous tient en haleine. 

L'enjeu du film est différent de ceux traditionnellement déployés par les films réalisés sur le même thème. Usuellement, on parle d'héroïsme. Il s'agit de tromper la Mort et de résister aux bourreaux.

La parti pris de l'auteur, intelligent s'il en est, consiste, tel un prestidigitateur, à détourner notre attention de l'évidence (l'horreur, constamment présente hors-champ par des cris, des explosions, des bruits de mitraillette...) pour se concentrer sur le véritable enjeu du récit.

Saul a découvert un enfant vivant, au beau milieu des cadavres amoncellés dans la salle dont il s'occupe. Il n'aura dès lors de cesse d'affirmer qu'il s'agit de son fils. On le soupçonne d'être un peu fêlé. Lorsque l'enfant succombe, il n'a plus qu'une idée en tête : trouver un rabbin pour dire une prière.

Au-delà de son habileté à esquiver la figure imposée du film-sur-la-Shoah-qui-montre-l'indicible, le parti pris du réalisateur est incroyablement efficace pour nous ravir à notre propre jugement. Ainsi, malgré la besogne proprement ignoble à laquelle se livrent les Sonderkommandos, il ne nous vient jamais à l'idée de les juger. 

Le jugement est une suspension du temps. Or le temps n'existe pas à Auschwitz.

Ou plutôt, on ne peut se soustraire à son impitoyable joug. On y est tellement collé, en permanence, que le recul manque. 

On pare au plus pressé. Pas le temps de gloser sur la portée morale de tel ou tel acte. 

Or, sans recul, pas de réflexion, et sans réflexion, pas de jugement. CQFD. 

Nemes réussit brillamment à nous arracher à tout jugement, donc, et empêche tout procès en complaisance à son propos.

L'horreur, omniprésente, devient un personnage secondaire. Sacré tour de force.

Que reste-t-il ?

Un film marteau-piqueur qui avance sur un fil étroit, celui de la folie (suggérée ? montrée ? imaginaire ? les interprétations restent ouvertes) de son protagoniste-héros. 

Comme tout marteau-piqueur, c'est épuisant (ce plan serré d'1h45...).

Mais son martèlement lancinant nous hante durablement. Et après tout, c'est ce que devrait faire toute oeuvre d'art.

Si vous voulez participer en spectateur à un épisode grandeur nature de Call of Duty version Auschwitz, un remarquable film hongrois a réalisé cette prouesse.

L'Holocauste n'avait jamais été envisagé comme décorum pour narrer autre chose. On sort de la grande Histoire pour entrer dans la petite.

Cela n'enlève rien à la puissance du propos.

Au contraire.

Ce film mérite les honneurs dont on l'affuble ici et là. Allez-y.

 

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  • Où l'auteur de ce blog vous livrera sa critique d'un film vu, à fréquence aléatoire. Les billets tâcheront de résister à la tentation très en vogue de s'extasier devant d'austères films finlandais mal cadrés. Et si le dernier Michael Bay est bon, le dira.
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